Communiqué
Design Strategy
9.12.2020
Perturbation continuum temporel
21 minutes
Temps d'un café
Airbnb, la plus design des boîtes tech
Airbnb, la plus design des boîtes tech
Cyril VART
Mathilde Maitre
Note : Ce contenu a été créé avant que Fabernovel ne fasse partie du groupe EY, le 5 juillet 2022.

Chaque expérience est unique à une entreprise. Si Apple offre une expérience par son produit, Google par la donnée, ou encore Nike par la performance, Airbnb le fait par l’expérience humaine. Airbnb propose deux choses : voyager local et vivre des expériences. Celles-ci se retrouvent jusque dans les valeurs de la société, matérialisées dans son siège à San Francisco, où les salles de réunion sont des répliques authentiques d’appartements. Y compris, évidemment, la réplique de celui où Brian Chesky et Joe Gebbia ont lancé Airbnb.

Derrière l’entreprise tech...

Avant de parler d’expérience et de design, il est important de souligner qu’Airbnb illustre parfaitement la définition de plateforme numérique et démontre la supériorité des tech companies sur leurs homologues traditionnelles. Comparons-la à la prestigieuse chaîne hôtelière Hilton. Comme nous le rappelons dans notre ouvrage GAFAnomics : comprendre les super-pouvoirs des Gafa pour jouer à armes égales (Éd. Eyrolles) : “Parce qu’elle se focalise sur les produits, l’industrie hôtelière porte toute son attention sur des biens matériels : emplacement et taille des hôtels, confort des chambres et qualité des équipements, etc.”. Cette stratégie, typique des 4P du marketing, est un levier de différenciation indéniable et explique en grande partie le succès de Hilton. Cependant, “cela entraîne des coûts importants de maintenance et de gestion (personnel, matériels, équipements de sécurité et de confort). En conséquence, le nombre de chambres d’hôtels qu’un groupe hôtelier peut gérer va plafonner assez rapidement”.

En utilisant le magnétisme – ce super-pouvoir, théorisé dans GAFAnomics, qui consiste à agréger et monétiser des portions de valeur unitaires –, Airbnb est parvenu à construire un hôtel “délocalisé” de plus de 6 millions de chambres. Soit 6 fois plus que Hilton, en 10 fois moins de temps ! Mais surtout, ce n’est que le début : Airbnb se “concentre sur le système de gestion. Elle ne doute pas qu’il y aura des gens pour proposer des chambres à louer. Ce qui, pour un hôtelier constitue un bien rare, n’est rien d’autre qu’un prétexte pour Airbnb [de mettre en relation] une demande d’hébergement et une offre de chambres en ville”.

Si on regarde les choses en termes de dynamique, force est de constater que le modèle d’Airbnb ne lui donne aucune limite d’échelle. En effet, l’entreprise accroît sa base d’utilisateurs grâce à l’effet de réseau, créant une boucle de valeur vertueuse : plus il y a de chambres, plus il y aura de clients potentiels – et vice-versa. C’est le super-pouvoir de l’infinité : l’ajout d’une chambre marginale se fait à coût quasi-nul pour Airbnb. De son côté, Hilton, comme tous ses concurrents, devra construire un hôtel entier, recruter un personnel qualifié, immobiliser un capital de plus de 200 millions de dollars (estimation Fabernovel) pour accueillir un nouvel hôte.

… l’entreprise la plus centrée design, en avance sur son temps

Airbnb a pu compter, parmi son trio de fondateurs, deux designers : Joe Gebbia et Brian Chesky. Ceux-ci se sont basés sur leur propre expérience de vie pour lancer Airbnb : "nous avons créé Airbnb parce que, comme beaucoup d'autres aux États-Unis et à New York, nous avions du mal à payer notre loyer et avons décidé d'ouvrir notre salon à d'autres artistes qui venaient en ville pour une conférence sur le design. Le fait de partager notre appartement nous a permis de rester chez nous et de créer notre entreprise". Et, à l’époque, le pari n'était pas gagné. La Silicon Valley ne voyait que par le prisme des ingénieurs et ne pensait pas les designers capables de diriger une entreprise, encore moins que les gens iraient jusqu’à payer pour dormir chez des inconnus.

Pourtant, en s’inspirant de leur quotidien, qui était celui de millions d’autres personnes, les deux compères ont suivi une démarche sur laquelle tous les designers d’expérience (UX Designer) s’appuient aujourd’hui. Joe Gebbia dit souvent que lui et Brian Chesky n’ont rien inventé, car l’hospitalité a toujours fait partie du monde. Leur business est donc né, avant tout, d’une très bonne compréhension du monde et de la volonté de trouver une solution à un problème existant.

L’entreprise a ainsi baigné dès sa création dans la culture du design. Elle s’est organisée autour de ce pilier stratégique, ce qui a permis de diffuser les bonnes pratiques aux collaborateurs. Le design devient alors l’affaire de tous, et pas seulement celle d’un seul métier. Toutes les décisions sont prises au regard du design, du lancement de produit à l'embauche de nouveaux collaborateurs, en passant par l’aménagement des bureaux. Airbnb a par exemple inventé la “méthode Snow White”, en hommage au premier dessin animé de Disney, Blanche-Neige, le premier du genre créé à partir de storyboards. En quoi cette méthode consiste-t-elle ? Il s’agit de storyboarder au préalable toutes les expériences de voyages de bout en bout, de manière à ce qu’elles soient guidées par les besoins exprimés par les clients, et non par des données financières ou autres. Ce design a permis à Airbnb d’être en avance sur son temps : tout a été pensé avec cette méthode pour proposer la meilleure expérience sur l’ensemble du parcours utilisateur. C’est ainsi qu'il y a 13 ans, l’entreprise a su rendre simple et agréable la réservation d’un appartement en naviguant sur un site. C’est cette même simplicité qui a forgé les standards d’expérience du web et des apps aujourd’hui.

C’est aussi du design que sont nés des éléments inédits, comme les étoiles pour noter les expériences vécues à travers Airbnb. Ce système a permis de se rendre chez un inconnu ou d’accepter des inconnus chez soi plus facilement. Il a été crucial dès le lancement de la startup pour gagner la confiance à la fois des hôtes et des voyageurs. Alors que le système est désormais connu, voire reconnu pour certaines défaillances (comme l’influence des commentaires positifs sur la peur de poster des commentaires négatifs), les clients sont passés de la confiance à la défiance. Le design doit donc évoluer, toujours en étudiant les pratiques de ses utilisateurs. C’est ce qu’a fait la firme, par exemple, en modifiant son système de paiement : une seule personne pouvait payer, ce qui était parfois jugé rédhibitoire quand il s’agissait de réserver entre amis. Aujourd’hui, il est possible de répartir l’addition directement via la plateforme. En permanence, l’approche du design permet de veiller, d’identifier des opportunités, de corriger les expériences ou d’en créer de nouvelles.

Les fondateurs, véritables designers dans l’âme, sont aussi restés sur le terrain. Ils ont ainsi pu comprendre pourquoi certains hôtes n’arrivaient pas à louer leur appartement : les photos étaient souvent de mauvaise qualité ou peu esthétiques. Gebbia et Chesky sont alors allés photographier eux-mêmes les appartements, puis ont proposé aux hôtes à fort potentiel d’envoyer gratuitement des photographes chez eux.

En résumé, Airbnb a élevé les attentes et les standards en termes d’expérience utilisateur :

Passer de la simplicité à la cohérence : une stratégie d’expérience client sans couture qui place les besoins de l’utilisateur au centre du processus de conception.

Passer de la transparence à l'honnêteté : une marque glassbox où l’expérience est ouverte, claire et digne de confiance.

Passer de la personnalisation à l’humain : une personnalisation qui traite l’utilisateur comme une personne et non comme un numéro.

La bourse saura-t-elle récompenser un modèle raisonnable ?

Si la startup a commis des erreurs techniques, ou a connu des situations compliquées avec des utilisateurs, elle a toujours travaillé à les corriger. Une attitude à l’opposé de l’escalade de la folie des grandeurs de WeWork ou SoftBank, qui illustrent en revanche un modèle de startup peu durable et des pratiques déraisonnables. Airbnb s’orienterait-elle, à l’inverse, vers un modèle plus raisonnable ?

C’est ce que laissent entendre les signaux externes. Airbnb s’est montrée raisonnable, par exemple, dans sa gestion de l’épidémie de la covid-19 en mettant en place, toujours dans son optique de design centré client, la gratuité des annulations pour les voyageurs, ou encore en annonçant en novembre dernier avoir bloqué plus de 30 500 demandes de réservations pour éviter les fêtes clandestines interdites en France. L’accord sur la taxe de séjour semble également s’être déroulé de manière apaisée, contrairement à Amazon qui, face à la taxe Gafa, a rapidement mis ses menaces à exécution en répercutant le montant de ses commissions sur les commerçants tiers de sa plateforme.

L’entrée en bourse d’Airbnb nous dira si, une fois passée la crise sanitaire, les investisseurs valoriseront ce nouveau raisonnable.

Mathilde Maître, Directrice Design, Fabernovel

Mathilde Maître est directrice Design chez Fabernovel depuis 2014. Elle accompagne des grandes entreprises dans la création de nouveaux produits, services ou offres à destination de leurs clients, des collaborateurs, ou encore dans la mise en place et conception d’une vision et d'outils pour leur équipe design. Elle contribue également à la diffusion et l’acculturation au design en interne comme en externe au travers d’études, articles ou formations. Mathilde est aussi cofondatrice de vvorker, la maison d’édition d’objet de Fabernovel fondée et gérée in house.

Auparavant, Mathilde a travaillé chez af83, une agence de développement web où elle a eu pour mission de développer l’équipe design et son expertise. Elle est diplômée de l’ENSCI Les Ateliers en 2009.

Cyril Vart, Vice-Président Exécutif, Fabernovel

Cyril est Vice-Président Exécutif chez Fabernovel, il dirige la stratégie marketing et développement du groupe Fabernovel ainsi que le lead sur les projets marketing stratégiques. Il est aussi le coordinateur des GAFAnomics chez Fabernovel.

En tant qu’entrepreneur, Cyril a fondé 3 start-up entre 2007 et 2009. Passionné de technologies, Cyril Vart démarre sa carrière dans le développement de bases de données et l’industrie du jeu vidéo puis se spécialise dans les fonctions marketing et développement produit, notamment chez Evolution France, IBM et Lotus Development. Appelé par Lotus Development Corp. (Boston) en 1994, puis Altavista Search en 1996, où il exerce la fonction de Directeur Marketing, il rejoint ensuite Ziff Davis Inc. Il rentre en France en 1999 pour prendre la DGA de Wanadoo Portail. Avant de rejoindre Fabernovel en juin 2008, il exerce la fonction de Directeur du développement pour le groupe de presse magazine Emap France (Mondadori), où il s’occupe plus particulièrement des activités digitales du groupe.

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